Monsieur
le Préfet
Préfecture
de L.A
6
Quai Ceineray
44000
NANTES
Nantes, le samedi 20 juin
2009
Monsieur le
Préfet,
Des
organisations nantaises d’aide aux étrangers rassemblées jeudi dernier ont
souhaité vous communiquer sous la forme d’une lettre ouverte un bilan non
exhaustif des constatations faites depuis plusieurs mois en matière de droit des
étrangers.
Dans un premier
temps, voici énumérées les différentes atteintes aux droits des demandeurs
d’asile :
Difficultés liées au financement en
forte baisse de AIDA (accueil et information des
demandeurs d’asile).
- La personne
demandeuse d’asile écrit son récit de vie dans sa langue et fournit les
documents justifiant sa demande. Ce récit et les documents sont ensuite traduits
par un traducteur assermenté. Le financement n’en n’est plus assuré que pour 4
pages.
- D’autre part, il n’y a
plus d’interprètes qui puissent assurer l’accueil, le suivi social au quotidien
des demandeurs d’asile. Or, on connaît la difficulté qu’il y a à élaborer un
récit cohérent quand on a vécu un traumatisme, quand on arrive en France avec
une culture bien différente de la nôtre.
- L’accueil des demandeurs d’asile primo-arrivants à
Nantes a été supprimé sur 2 périodes depuis un an (août 2008 et février –mars
2009). La domiciliation administrative par AIDA était donc impossible, ce qui
empêchait les demandeurs d’asile de se présenter à la préfecture de Loire
Atlantique pour entamer leur démarche. Il a fallu une action judiciaire intentée
par un demandeur d’asile, au Tribunal Administratif contre l’Etat pour obtenir
cette domiciliation administrative (2 avril 2009). Dans le même temps était
suspendue la possibilité de domiciliation d’une association locale. Nous voulons
également vous rappeler la réduction des droits des étrangers dans les centres
de rétention réduits à une simple information.
- L’hébergement des
demandeurs d’asile primo-arrivants, financé par l’Etat suivant la loi, est
assuré de façon très irrégulière. Nous avons pu constater que des familles avec
des enfants et même des bébés se sont retrouvés un certain temps à la rue, sans
parler des nombreuses personnes isolées qui ne trouvent pas d’hébergement quand
elles appellent le SAMU social (le 115).
- Après le refus de la
demande d’asile par l’OFPRA, le demandeur d’asile a le droit de faire un recours
contre cette décision à la Cour Nationale du Droit d’Asile. Depuis quelques
mois, AIDA n’a plus les moyens d’aider à faire ce recours et ne les prend plus
du tout en charge, ce qui est pourtant du ressort de l’Etat. Ce sont donc nos
associations qui pallient à cette carence. Or, il n’est nullement dans nos
attributions de financer les déplacements à Paris, les traductions, et n’en
avons pas les moyens.
La réforme en cours de la
régionalisation de la demande d’asile impose au demandeur d’asile hébergé
dans un département des Pays de Loire de venir à Nantes pour les formalités à la
Préfecture. Ceci occasionne encore des frais de
déplacement.
De plus en plus d’obstacles sont mis
à l’obtention du statut de réfugié. Ils sont liés entre autres à la
politique mise en place au niveau européen.
- Les demandeurs d’asile doivent déposer
leur demande dans le premier état de l’espace Schengen qu’ils rencontrent.
Ainsi, un Afghan entrant en Europe par la Grèce et venant ensuite
en
France pourra être reconduit en
Grèce pour y faire sa demande d’asile. Or, la Grèce est l’un des Etats européens
qui traite les demandeurs d’asile de la façon la plus
répressive.
- Un
certain nombre de demandes d’asile sont traitées en « procédure
prioritaire », quand elles sont considérées comme des « manœuvres
dilatoires » pour se maintenir sur le territoire français. Il en est de
même pour de nombreuses demandes de réexamen OFPRA. La rapidité de l’examen du
dossier par l’OFPRA fait douter de l’équité avec laquelle il est
examiné.
- L’OFPRA accorde de plus en plus de
« protection subsidiaire » à la place du statut de réfugié. Alors que
celui-ci confère d’emblée une carte de résident de 10 ans et tous les droits des
Français (sauf le droit de vote), la protection subsidiaire ne donne droit qu’à
une carte temporaire de un an.
- Une mesure qui paraît mineure,
mais traduit bien la volonté politique actuelle : le demandeur d’asile reçu
à l’OFPRA s’entretient avec un seul interprète, au lieu de deux auparavant, avec
le risque de subjectivité que cela comporte.
- Enfin, et ce n’est pas
l’une des moindres difficultés, l’OFPRA pratique une application restrictive du
droit d’asile : il n’est pas reconnu aux personnes qui ont fui leur pays
pour échapper à une misère extrême, aux conséquences des guerres, des famines,
des violences familiales (mariages forcés, rejet des mères
célibataires….)
Une fois débouté, on en reste pas
moins un être humain et pourtant les personnes vont alors se heurter à bien
d’autres difficultés :
La majorité des demandeurs d’asile
deviennent des déboutés après les rejets de leur demande par l’OFPRA et la Cour
Nationale du Droit d’Asile. Ils reçoivent donc rapidement de la Préfecture un
refus de séjour et une obligation de quitter le territoire (OQTF), qui seront
confirmés ou non par le Tribunal Administratif devant lequel ils font un recours
pour contester cette décision.
Ce système contribue largement à la
création des sans papiers avec tout ce que cela implique : perte de
l’hébergement, pas de droit de travail. Ils ne peuvent pas mener une vie
« normale », ils vivent dans la misère et dans la peur constante des
contrôles et de l’expulsion vers un pays où ils ont tout perdu, où ils risquent
de se retrouver en grand danger.
Les choix politiques et économiques
de nos gouvernants se font au détriment des populations les plus pauvres,
qu’elles soient françaises ou étrangères. Nous pensons, nous, qu’il n’est jamais
bon pour un pays de maintenir toute une fraction de la population dans la misère
et l’angoisse du lendemain.
Qu’il s’agisse d’étrangers sans
papiers, de Roms européens, nous considérons que l’Europe, en les maintenant en
marge de la société, se prive de forces vives qui contribueraient à son
dynamisme. Un exemple parmi d’autres : quand des enfants Roms passent avec leur famille d’un terrain
illégal à un terrain conventionné où ils se sentent en sécurité, les enseignants
constatent une amélioration des résultats scolaires.
Les personnes subissent des
pressions de plus en plus grandes qui aboutissent trop souvent à des
dégradations physiques et psychiques constatées dans les centres de
soin.
En conclusion, nos associations
condamnent avec toujours plus de conviction, la politique actuelle d’immigration
choisie. Après le pillage des matières premières des pays pauvres, nos
gouvernants organisent le pillage et le gaspillage des ressources humaines. Nous
nous prononçons pour une toute autre politique, celle qui aiderait réellement au
développement des pays pauvres afin que les personnes aient réellement le
choix : rester dans leur pays avec le droit d’y vivre dignement, ou
émigrer, mais dans des conditions également dignes.
Ceux qui font ce choix d’émigrer
doivent être accueillis chez nous dans le respect de tous leurs droits.
Vous savez aussi
que le gouvernement actuel transforme la solidarité en délit ; aussi nous
demandons que la loi soit changée afin que les aidants associatifs ou simples
citoyens ne puissent être poursuivis sur le fondement de l’article 622-1 du code
Ceseda.
Nous vous
prions, Monsieur le Préfet, de croire à l’assurance de nos salutations
distinguées.
Pour
les organisations
Michelle
Hazebrouck